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Les larmes éternelles.
Prologue
Oh, tiens ! Il pleut. Je ne m'en suis même pas aperçu jusqu’à maintenant. Je lève la tête, mais ma vision se brouille, à cause de la pluie, sûrement. Je ne vois plus rien. Tant pis. Au moins, je n'aurais pas à regarder la jeune fille qui s'en va d'une démarche incertaine, sans un regard en arrière, à quelques mètres de là.
Alors qu'elle vient de briser à jamais le cœur d'un homme.
Le mien.
Comment a-t-elle pu ? Pourquoi ? J'ai été, je suis, toujours gentil et attentionné avec elle ;"même un peu trop", me faisaient remarquer mes camarades de classe. Pas mes amis, mes camarades. Je n'ai pas d'amis. Ou plutôt, je ne pense pas en avoir. De vrais amis, je veux dire. Ceux qui sont toujours là pour toi, pas juste quand ils ont besoin de te demander un service ou parce que leurs amis à eux ne sont pas là. Des amis sur qui ont peut compter.
Je pensais en avoir un, d'ami. Elle. Mais je comprends aujourd'hui que notre relation était plus qu'inexistanste (en plus d'être ambiguë, je précise). Ou alors, éphémère.
Enfin bref. Oui, j'ai toujours été adorable avec elle. Elle a été adorable avec moi, aussi. C'est elle qui m'a accueillie à bras ouverts quand j'ai emménagé dans le quartier, avec ma mère, il y'a maintenant 5 ans. J'étais timide, je le suis toujours, et c'est elle qui m'a rassuré ; elle m'a même présenté à ses amis. Ils ont eu l'air de me trouver sympathique, mais je savais bien qu'ils ne voulaient pas faire mauvaise impression devant elle, alors ils se sont montrés cool. Mais après, ça a été la seule à discuter et à "traîner" avec moi.
Mon ventre se sert, un sourire crispé s'étend sur mes lèvres. Je me souviens de tant de choses. Qu'elle venait me masquer les yeux avec ses mains, et me dire de sa voix douce et amusée : Devine qui c'est. Que je me retournais, le sourire aux lèvres, la retrouvant tout sourires, les yeux étincelants, ses longs cheveux bruns ondulant autour d'elle.
Qu'elle me défendait devant les caïds, qu'elle leur disait : Ne vous en prenez pas à plus petit que vous, vous êtes lamentables. " Ils me lâchaient ensuite les baskets pendant 3 ou 4 jours (elle était très persuasive, quand on y pense, et surtout, très appréciée. Par tout le monde. Personne n'osait la contredire, vu qu'elle avait toujours raison. Mais peut être ais-je une trop bonne image d'elle, qui contraste terriblement à la réalité.)
Ma vision se brouille davantage.
Elle était la corde qui me permettait de tenir, grâce à laquelle je m'efforçais de ne pas abandonner.
Il pleut drôlement, dis donc.
Je devrais peut être rentré, ma mère doit s'inquiéter.
Mais bon, être en retard, inquiéter ma mère, ou autres choses futiles comme celle-ci ne m'importe plus, désormais.
Je dois d'abord recomposer ce qu'elle a détruit.
D'une démarche certaine, cette fois, je prends la direction de ma maison, tandis que la pluie s'estompe...à vue d’œil. (*)
Elle laissera bientôt sa place au soleil. Comme ma vie. Qui prend aujourd'hui un nouveau tournant. Pour la troisième fois.
Un nouveau tournant. Un nouveau départ. Pour une nouvelle vie.
FIN.
(*) NDA : Faut comprendre le jeu de mots ;'3
Chapitre 1
- Ah, mon chéri, tu es revenu ! Je commençais vraiment à m'inquiéter, hein ! Où étais-tu passé ?
J'enlève mes chaussures sur le palier, tandis que ma mère se dirige vers moi, furieuse et inquiète. Les rides du souci et de la fatigue creusent son visage, le rendant de moins en moins avivé et coloré au fil des jours. Elle travaille beaucoup trop. Même si cela ne suffit même pas à joindre les deux bouts. Mais elle continue, elle s'acharne pour m'offrir tout ce dont j'ai besoin, depuis que mon père est parti, nous abandonnant elle et moi, déboussolés, anéantis. Je n'avais que 6 ans, mais je m'en souviens encore aujourd'hui.
Mon père était venu dans ma chambre, un soir d'hiver, le visage fatigué mais ferme. Les yeux ronds, je lui avais demandé ce qu'il faisait dans ma chambre, habillé, un sac sur les épaules et s'il pouvait bien m'expliquer pourquoi il y avait une grande valise, sa grande valise, devant la porte. Silencieux, il s'était assis près de moi, et soudain, pris dans ses bras. Puis il m'avait dit d'une voix empreinte de regret, avant que j'aie eu le temps de comprendre ce qui se passait :
- Sois fort. Ne perds pas courage. Pour ta mère et moi. Je sais que je peux compter sur toi. Je suis désolé.
Il s'était ensuite levé. Dans un silence de mort, la bouche béate, je l'avais regardé quitter la pièce, ne réalisant toujours pas ce qui se passait. Puis la vérité m'avait frappé de plein fouet :
Les murmures entre eux, les sanglots étouffés, tout ça…mon père quitte la maison.
Il ne viendra plus jamais me serrer dans ses bras, la nuit.
Je n'irais plus jamais avec lui à des matchs de foot, manger un sandwich...
Il ne sera plus là pour moi.
Cette vérité m'avait paru insupportable. Mais, avant que je puisse bouger le petit doigt (j'avais prévu de lui sauter dans les bras et de l'empêcher de partir, têtu que j'étais), il m'avait murmuré d'un son parfaitement inaudible, si bien que j'avais du tendre l'oreille pour l'entendre :
- Je m'en vais. Peut être que je reviendrais. Mais pas maintenant. Je dois réfléchir.
Sois sage, sois la pour ta mère quand elle en aura besoin.
"Je t'aime, mon fils."
J'avais hoché la tête même si il ne pouvait pas le voir, ne sachant pas quoi faire d'autre. Je me sentais comme vidé, incapable de bouger. Je n'arrivais même pas à pleurer.
Ma mère était apparue sur le seuil de la porte, le visage en larmes, juste après.
Ils ne se s'étaient pas accordé un regard. Aucun. Ma mère avait juste dit, la voix brisée : Vas-t-en.
Le visage baissé, mon père avait ensuite quitté la pièce.
Puis notre maison. La vie de ma mère. Ma vie.
Laissant nos cœurs à l'abandon, déchirés, marqués à tout jamais.
Cela fait 9 ans maintenant.
Depuis ce jour, ma mère a perdu sa joie de vivre. Je perdis la mienne aussi, à la même occasion.
Quelques jours après, elle entreprit de trouver un boulot pour qu'on puisse s'en sortir sans lui. On l'engagea comme baby-sitter, serveuse, caissière, nourrice, animatrice… et enfin, femme de ménage.
Nous avions déménagé à Lolititle, 4 ans après ce jour tragique.
Et c'est là que je fis la rencontre d'Ever.
Grâce à elle, je pus honorer la promesse faite à mon père. Rester fort et avancer, pendant 5 ans.
Mais plus maintenant.
- Alors, qu'est-ce qui se passe, tu réponds pas ? questionne ma mère, ce qui me fait sortir de ma léthargie.
- Euh, si, si…je pensais juste à quelque chose, je réponds précipitamment.
- Alors ?
- J'étais avec Ever, tu sais, à la bibliothèque, j'explique, mais on s'est attardé sur un banc pour discuter.
- Ah ok, dit-elle, visiblement soulagée. Et tout se passe bien entre elle et toi, donc ?
Je veux lui répondre que non, tout va mal comme jamais, que je l'ai perdu. Pourtant, je réponds :
- Très bien. Ne t'inquiète pas pour ça.
- Ah ok, marmonne encore ma mère, en me fixant étrangement, ce qui me fait donc baisser la tête, pour ne laisser transparaître aucune émotion. Dépose ton sac dans ta chambre, et viens m'aider à préparer le dîner, s'il te plaît. Ensuite, tu feras tes devoirs. Il n'est que 19h, on a le temps.
-D'accord, maman, je réponds, en m'avançant lentement vers l'escalier qui me ramène à l'étage, où il y'a ma chambre, la salle de bains et la chambre de ma mère.
- Je t'attends, mon cœur. Je sens qu'on va passer une bonne soirée.
- J'espère, dis-je d'un ton faussement enjoué.
Puis je m'engage ensuite dans l'escalier, la tête encore envahie de souvenirs douloureux.
FIN
Chapitre 2
- Aie ! Ça fait mal !
Sans attendre, je passe mon doigt sous l'eau du robinet.
- Qui y'a-t-il, mon chéri ? hurle ma mère, à l'étage.
- Rien de mal. Je me suis juste coupé le doigt ! je hurle aussi, le visage crispé par la douleur.
Elle soupire si fort que je l'entends d'ici.
- Ah ok. Fais attention dorénavant.
- Pas de soucis. Argh…
Je ferme le robinet et me remet à couper les tomates par tranches, tout en essayant de contenir ma douleur. Ca fait vraiment mal, bon sang (ça sort bien avec la situation, vous ne trouvez pas ?). Je suce mon index, qui a enfin décidé de s'arrêter de couler.
Cela fait une demi-heure que je prépare le dîner avec ma mère. Je devrais normalement décompresser, car j'adore cela, mais je n'y arrive pas. Le souvenir du départ de mon père me démange, bien que je ne sache pas pourquoi. Et je n'arrête pas de penser à Ever, ce qui me fait terriblement souffrir.
Ma mère dévale les escaliers et me rejoint dans la cuisine, son sac à la main.
"Course urgente", m'a-t-elle expliqué.
- Tu es sûr que tu ne veux pas venir avec moi ?, elle me demande pour la trois millième fois.
Je soupire. Elle est têtue, ma mère !
- Non, maman, je grogne. Pour la trois millième fois, je te dis que je suis assez grand pour rester à la maison tout seul ! Tu n'as pas à t'inquiéter pour moi bien que tu le fais tout le temps.
Un jour, ma mère m'a dit que j'étais la seule à savoir la faire sourire. Je le confirme.
- Ok, t'as gagné…mais on pourrait passer au café manger une glace après le supermarché, si ça te dit ?
- Maman…, je souffle, avec un sourire franc, cette fois. T'es incorrigible…puisque que je te dis que je ne veux pas venir avec toi ! Je coupe des tomates, je te ferais remarquer !
Même si j'ai bientôt terminé. Mais hors de question de le lui dire !
- Une bônne glace, susurre-t-elle en exagérant sur les "n" et en ignorant ma remarque. Mmmmh…ça ne te tente pas ? Les légumes peuvent attendre, hein !
Ma mère est sadique.
Mais je tiens le coup. Plutôt mourir que lui faire faire des dépenses de plus. Avec le prix que coûte une simple glace…non !
Je ne réponds pas et continue à couper les tomates, en faisant en sorte de l'ignorer superbement.
Quelques minutes plus tard, voyant que je ne suis pas prêt de répondre à ses provocations (le mot n'est peut être pas très bien attribué mais c'est ce que je ressens) et à céder, ma mère se décide enfin à prendre les clés et à sortir. Elle ajoute au passage :
- Tant pis pour toi, alors. J'ai tout essayé ! Mais j'aurais peut être dû te menacer…la prochaine fois, t'es cuit !
Tsss…en soupirant intérieurement, je referme la porte derrière elle, le cœur un peu plus léger, toutefois.
J'ai l'impression qu'elle se reconstruit de jour en jour, ma mère, Dieu sait comment et pourquoi.
Elle veut peut être me montrer qu'elle aussi sait rester forte.
Je finis de couper les tomates, avant de les mettre dans un bol et de me laver les mains. Travail terminé.
Que faire maintenant ?
Je monte dans ma chambre, en essayant d'oublier Ever et mon père. Elle n'est pas très vaste. Mais, elle qui contient un lit à baldaquin, un bureau, une fenêtre, et une petite bibliothèque où j'y entrepose tous les livres que j'ai pu récoltés au fil des années, constitue mon univers secret. C'est le seul endroit où je me sens bien et réellement moi-même.
Cette pensée me ramène tout de suite à Ever.
Car cette chambre est, vous vous en doutez bien, l'endroit où Ever et moi aimions le plus se retrouver, avec la biblothèque.
Quand j'y repense, je me dis que notre amitié n'était pas du tout prévisible. Puisque, hormis le fait que nous aimons tous les deux la lecture, nous n'avions aucun point commun. Ne serait-ce que par sa façon de choisir ses amis. Ils sont tous très sûrs d'eux, prétentieux et moqueurs, alors qu'elle est douce, belle et gentille. Comment ça a pu coller ?
J'en suis là dans mes cogitations quand j'entends une sonnerie. Le téléphone. C'est peut être elle…ni-une ni-deux, je m'élance, dévale les escaliers et fonce vers le salon où celui-ci continue de sonner.Bip, bip, bip ! La main tremblante et avec une certaine appréhension, je décroche le combiné.
- Oui ?, dis-je la voix étranglée.
- Debby ? Brian ?
C'est comme si le sol s'effondrait sous moi.
Je tombe, je tombe…
- Allô ? Allô ? Vous m'entendez ?
La voix est grave, forte, puissante. Elle n'a pas perdu de sa douceur, pourtant.
Je tombe, je tombe…
C'est elle que j'entendais tout les soirs. Elle me criait : Brian ! Brian ! Sois fort ! Ne perds pas courage !
- Hé oooh ! Fichu téléphone ! Répondez, je sais que quelqu'un est là !
C'est elle que j'espérais réentendre un jour.
Des sanglots dans la voix, je murmure :
- Papa.
Chapitre 3
- Brian, oh mon fils... comme je suis content d'entendre ta voix !
Je me mets à vaciller sur le coup de l'émotion, ce qui m'oblige à me tenir au mur pour ne pas tomber.
- Papa...pourquoi nous as-tu abandonné ? Pourquoi ? Où es-tu ? Plus de nouvelles, rien pendant 9 ans ! Et là, tu débarques au téléphone en prétendant que je t'ai manqué ?! Alors que, je me répète, pendant 9 ans, tu n'as pas daigner me donner de tes nouvelles ?!? (ma voix prend des intonations plus fortes tandis que la colère et la tristesse qui s'est amplifié au fil des jours explose en moi. Dire que j'allais pleurer il y'a 2 secondes ! À cause de ce...enfin bref) 9 ans, Papa, 9 ans ! Tu comprends ce que ça peut signifier pour un fils, la présence d'un père pour l'épauler ? Puis, encore et toujours cette question, POURQUOI ?!?
Je laisse éclater ma haine, ma tristesse, ma colère.
Je l'entends respirer d'un souffle rauque. Il me prête une oreille attentive, je le sens, je le sais.
Je lui raconte les 9 ans passés sans lui, les problèmes, la détresse de ma mère.
Je lui parle d'Ever, de notre rupture.
De la promesse qu'il m'a faite.
Je lui fait comprendre que, malgré tout ce qui s'est sans doute passé entre ma mère et lui, il aurait dû endosser son rôle de père, même si beaucoup comme lui, malheureusement, n'ont pas eu le courage, la force ou l'envie.
Je noie mon chagrin dans les mots.
Et il me laisse finir, il ne m'interromps pas, ne me contredis pas. Ne serait-ce qu'une seule fois.
Il est juste là, à m'écouter, et cela suffit amplement à ce que j'aille mieux.
Quelques minutes, je suis essoufflé, je transpire, je n'ai presque plus de voix, mais j'ai un poids de moins sur mes épaules.
- Oh, mon garçon, je suis désolé...désolé pour tout ce que tu as enduré, me dit-il après que j'ai fini. Mais, tu sais, tu ne connais sûrement pas toute l'histoire, je n'ai pas voulu vous abandonner...ma mère ne t'a pas raconté, n'est-ce pas ? Pour mon départ ? Elle ne t'a rien dit, c'est sûr...hein ?
J'aimerais lui beugler que si, que ma mère m'a tout raconté, que je connais toute l'histoire, que ce n'est pas le problème, que j'en n'ai rien à cirer mais...ce serait mentir.
J'ai bien essayé de tirer les vers du nez à ma mère pendant toutes ces années mais bon...elle y tient, à ces vers, hein.
De toute façon, à chaque fois que je lui posais une question ayant un rapport avec ça, son visage prenait une couleur verdâtre qui me contorsionner le cœur et je m'empressais de laisser tomber pour ne pas qu'elle s'évanouisse devant moi.
Laissant (un peu) ma fierté de côté, je rétorque alors :
- Non, j'admets que je ne la connais pas l'histoire, mais si tu pouvais me l'abréger vite fait, ce serait vraiment gentil. J'ai pas que ça à faire, moi. Et j'ai pleins de questions à te poser, le Fugueur, tu sais ?
Bon, j'ai bien dit un peu.
"Hé oh, t'es fou ou quoi ? Manque de respect total ! Tu veux qu'il te raccroche au nez, c'est ça ?" me souffle une voix dans ma tête.
Non. Surtout pas. Donc, je m'empresse de rectifier le tir :
- En fait, tu sais, je te dis ça parce que...(je tousse) Maman va bientôt arriver, et comme j'ai pas envie d'assister à une crise cardiaque dont je serais le seul coupable, j'aimerais bien que tu y aille vite. Mais, en fait, tiens...elle en met du temps pour aller acheter du PQ et des courgettes !
Mon discours a, à ma plus grande joie, l'effet escompté. Il éclate d'un rire léger. Mais je remarque un petit soupçon de nervosité, toutefois.
Peut être qu'il s'inquiète pour Maman, va savoir.
On peut toujours rêver.
- Ok. Je vais essayer de faire vite. Tu m'écoutes et tu ne m'interromps pas, c'est compris ?
- Oui, bien sûr, je réponds, agacé.
Il tousse. Trois fois.
- Je te le dit encore, Brian, je n'ai pas voulu vous abandonné. Enfin, je ne pense pas. Il s'avère que...
Et il me raconte. Tout.
Il laisse couler ses mots et moi, je les absorbe.
Si bien qu'à la fin, j'ai l'impression d'être un ballon plein d'eau, prêt à éclater.
- Voilà, tu sais tout, dit-il après avoir fini. Ça fait du bien de se confier, dis donc ! J'espère que...euh...2 secondes ! (Je l'entends murmurer quelque chose. Il a dû éloigner le combiné car je ne comprends pas ce qu'il dit. Je discerne ensuite une voix haut perchée, très aiguë. Une femme ?) Et, euh, désolé, mais je dois te laisser, en fait. Affaire urgente.
Affaire urgente ? Il est sérieux ? Déconcerté par ce que je viens d'entendre, je sens la colère bouillonner en moi. Déjà que j'ai du mal à encaisser ce qu'il a dit plus tôt...
- Quoi ?! Tu vas raccrocher, comme ça ?! Et, en plus, pendant qu'on y est, t'appelles d'où, en fait ?
Moment de silence.
- Euh...de...de Hitetlea, il répond d'une voix penaude.
Je manque de faire tomber le combiné.
- De Hitetlea ?! Mais c'est à l'autre bout du pays !!! je hurle. Et je peux savoir pourquoi t'appelles, 9 ans après ? Pour nous dire bonjour ?!
Re-moment de silence.
- Euh...en réalité, c'est pas la première fois que j'appelle , il bafouille, pris de court.
- QUOI ?!? Mais c'est quoi, ce délire, là ? T'as déjà appelé ? Comment ça se fait ? je m'insurge, ayant soudain mal au crâne.
- Euh..et bien... (Il perd complètement ses mots...bien fait pour lui), c'est à dire que...ta mère et moi, on a commencé à s'appeler 3 ans après mon départ, histoire de se rabibocher. Mais, euh, on s'est un peu frités, ces derniers temps. Elle a sûrement préféré ne rien te dire. J'appelais pour prendre de ses nouvelles, malgré tout et manque de chance ! Je tombe sur toi.
Je ne comprends plus rien.
- Préférer ne rien me dire ? Frités ? Manque de chance ? Rabibocher ? Mais qu'est-ce que c'est que ces histoires ?
- Hé, oh, tu peux attendre 2 secondes, darling ? Je parle à mon fils, là !, hurle-t-il. Je mets quelques secondes à comprend qu'il parle non pas à moi, mais à la personne (féminine, je précise) à côté de lui. Je dois vraiment te laisser, Brian, dit-il ensuite en s'adressant à moi, comme si il ne s'était pas aperçu qu'il venait de me taper un vent monumentale.
Wahou ! C'est la première fois qu'on m'énerve autant ! Mais, qu'avais-je ouï ? Darling ?
- Hé, oh, ne me dis pas que tu n'as pas écouter un traître mot de ce que j'ai dit ?! Et c'est qui, cette femme, à côté de toi ? Darling, tu l'as appelé ? Qu'est-ce qu'elle veut ?
Encore un moment de silence. Je l'entends parler à l'autre bout du fil et je comprends qu'il n'a encore rien écouté.
- Réponds, Papa, ***** ! je m'indigne, hors de moi.
- ...Brian, je suis désolé. Ne dis rien à ta mère, hein. Pour notre discussion, tout ça...je t'aime. Tchuss.
- Hein ? Quoi ? Attends !
Je beugle une injure grossière, mais trop tard ! Je n'entends plus qu'un long grésillement.
Zut !
J'appuie de toutes mes forces sur la touche "rouge" et je pose (le verbe n'est peut être pas attribué) violemment le téléphone sur son socle.
J'ai l'impression que ma tête va exploser et je me mets soudain à vaciller.
De l'air, il me faut de l'air.
Vite.
FIN
Chapitre 4
Argh ! C'est moi ou l'air manque de plus en plus par ici ?
Je me fais violence pour ne pas tourner de l’œil, tout en me dirigeant vers la fenêtre qui donne sur le jardin. Je l'ouvre et je ressens instantanément un bien-être fou. Je ferme les yeux, une brise légère effleure mon visage. J'aspire plusieurs grandes bouffées d'air et je referme ensuite la fenêtre, me sentant beaucoup mieux. La haine, la colère et le mépris envers mon père continuent toutefois de bouillir en moi. "Tu me le paiera !", je crie alors d'un ton féroce, comme si je voulais qu'il m'entende de là où il était. Des pensées contradictoires tournoyant sans cesse dans ma tête, je monte les escaliers et pénètre dans la salle de bain.
"Vieux plouc sans coeur, me dis-je tandis que j'asperge mon visage d'eau en me regardant dans le miroir, situé au-dessus du robinet. Tu ne penses donc qu'à ta petite personne ? Je ne compte pas, moi ? OK, tu as bien morflé ces dernières années mais est-ce une bonne raison pour abandonner ton fils ? Qu'est-ce que j'ai fait moi ? "
Mon cœur se serre. Evidemment.
"Ce n'est pas faute si Maman t'a jeté comme une vieille chau..."
Je me souviens alors d'une chose qui interromps brusquement mes pensées : Ma mère, où est-elle ? ! ?
Je jette un coup d’œil alarmé à ma montre : 21h ? Déjà ?
Cela fait une heure que ma mère aurait déjà dû rentrer. "Allez acheter des courgettes, ça prend donc tellement de temps ?", je songe, les yeux ronds.
Des pensées horribles sorti tout droit des films (que j'ai eu l'occasion de voir avec ma mère, jadis) surgissent soudainement dans ma tête.
Et si elle avait été enlevée ?
Je réfléchis une fraction de seconde.
Ni-une, ni-deux, après m'être essuyé les mains avec une serviette trouvée là, je regagne rapidement ma chambre. J'enfile la première veste que je trouve et je dévale les escaliers. Je m'apprête à quitter la maison mais ma raison m'oblige à réfléchir un peu avant de sortir tout seul dans la nuit. Une idée surgit alors dans ma tête : "Son portable ! Mais oui ! Et si je l'appelais sur son portable ?"
Je me précipite vers le combiné, le prends et je compose le numéro.
Après plusieurs tentatives restés vaines, je finis par assimiler le fait que ma mère ne répondrait sûrement pas.
Quel que ce soit le moment, ma mère ne peut pas s'empêcher de répondre quand son portable sonne. C'est plus fort qu'elle.
Ce qui me ramène au pire.
Bon...réfléchis, mon pote, réfléchis... je reste à attendre sagement, j'appelle la police ou je me lance à sa recherche ? Avis partagé.
L'image de ma mère ligoté dans le coffre d'une voiture défile alors dans ma tête.
Oh et puis zut !
N'écoutant que mon cœur, délaissant une bonne fois pour toute ma raison et ma logique, je repose le foutu téléphone, ouvre la porte d'entrée et pénètre dans la nuit.
FINChapitre 5
La première chose qui me frappe en sortant, c'est la fraîcheur de la nuit. Je frissonne, me maudissant intérieurement pour n'avoir pris qu'un simple gilet. J'aimerais bien revenir à la maison, mais je suis sûr de ne plus avoir ensuite la force d'en ressortir. Le mal est fait, comme me disait Ever (du temps où elle examinait mon devoir d'histoire ou de maths, quelques minutes avant le début des cours, remarquait une énorme faute et que je n'avais malheureusement plus le temps de corriger). Mon ventre se tord, comme d'habitude, mais je n'y prête pas attention. J'ai d'autres chats à fouetter. (encore une réplique d'Ever, à croire qu'elle m'a everdisé)
Bon. On arrête les plaisanteries. Concentrons-nous sur l'essentiel : trouver Maman. Je regarde autour de moi. La tâche semble rude. Il fait noir et le faible éclairage que projettent les réverbères ne m'aide pas vraiment. Je décide de me diriger, en premier lieu, vers le supermarché, situé à 500 mètres d'ici, qui est le premier endroit où je pourrais trouver ma mère, si j'en crois ce qu'elle m'a dit.
Arrivé devant celui-ci, quelques minutes plus tard, je me rends tout de suite compte qu'il est fermé. Il n'y a plus un son, les vitres sont "barricadés" (je ne vois pas d'autre mot, excusez mon manque de vocabulaire) et le parking est vide. Un frisson me parcoure et Dieu sait que ce n'est pas dû au froid.
Mon cerveau tourne alors à cent à l'heure. Laissons la possibilité d'enlèvement et autres tragédies aussi terribles que celle-ci de côté et imaginons qu'elle est faite ses courses tranquillement. Elle serait ensuite sortie du super-marché. Hormis rentrer à la maison, qu'est-ce qu'elle aurait pu faire ensuite ?
Je fais tourner mes méninges :
• Peut être passer faire un tour chez une amie ? Non, elle m'aurait répondu au téléphone.
• Elle aurait rencontré une amie et serait en train de papoter longuement avec elle ? Non, là aussi elle aurait pu répondre.
• Elle aurait mis son téléphone en silencieux ? Impossible. Elle ne fait jamais ça. Sinon, c'est elle qui m'aurait appelé.
M**** ! Tout cela ne tient pas la route !
Je commence à avoir mal au crâne.
Maman, bon sang, où est-ce que tu peux être ?
J'ai alors l'impression d'avoir reçu un coup dans l'estomac.
A moins qu'elle ne soit jamais allé faire des courses et que donc, en d'autres termes, elle se serait foutue complètement de ma gueule ?
Je ne sais pas vous, mais moi, connaissant ma mère, j'opte plutôt pour la deuxième proposition.
Mais si c'est bien ça, où est-ce qu'elle aurait pu aller ?
Je me mets à marcher, je ne sais pas dans quelle direction (je vous rappelle qu'il fait très noir et que je n'arrive pas à distinguer les panneaux), mais ayant la folle intuition de peut-être la croiser en chemin.
Je tombe alors sur Street Party. Pas de besoin de jeter un coup d'oeil au panneau (clignotant, celui-là) car le brusque changement d'atmosphère, ou plutôt d'ambiance, me frappe de plein fouet.
Street Party, appelée plus communément "la rue de la fête", porte bien son nom. Restaurants, bars, clubs, boîtes de nuit, cafés, hôtels de luxe, magasins...située en face de la mer, elle fait la joie des touristes en période d'été et se trouve donc être le plus grand site touristique de Lolitittle, qui est, je ne vais pas vous le cacher, une ville fort petite et très calme. La rue est immense et peut contenir, à en croire mes calculs, plus d'une centaine de personnes, si elles se tenaient toutes droites et collées les unes des autres, comme des sardines. Même en hiver.
Maintenant que la description est faite, vous ne devriez pas être étonnés quand je vous dis que la musique venant des bars me déchire les tympans, que je suis tout de suite emporté par une marré d'humains, pour la plupart ivres et que je dois jouer des coudes pour m'en dégager.
Ha ha ! Mmh..j'adore cette rue.
Reprenant mon souffle, je me glisse sur le bas-côté. Il me sera plus facile d'apercevoir ma mère en marchant sur la plage.
Tandis que j'examine chaque café, restaurant ou magasin, pénétrant dans quelques-uns ou regardant par les vitrines pour d'autres, en veillant à ne pas trop m'approcher des lieux mal-fameux, je rencontre, à mon grand désarroi, certains de mes camarades de classe sur mon passage.
Enzo McKartney, le casse-cou de la classe, toujours prêt à se marrer quel que soit le moment. Il m'adresse un hochement de tête poli, presque imperceptible, lorsque qu'il me voit, avant de détourner précipitamment la tête, si bien que j'ai ensuite l'impression que ce n'était qu'un objet de mon imagination et que je devais me faire des films.
Elisa Lewis, brune belle et ténébreuse, fantasme premier de tous les mecs de ma classe, chanteuse à ses heures perdues. Elle me sourit et me fait un signe de la main. Mon estomac fait une embardée. J'ai toujours l'impression qu'elle m'apprécie, bien qu'elle ne soit jamais venue me parler.
Brie Derity, forte tête, compagne d'Enzo, toujours prête à faire n'importe quoi quand cela lui chante. Je trouve qu'ils vont bien ensemble. Elle m'ignore superbement. De toute façon, je la déteste.
Jason Ryan, premier dans tous les domaines, même de la beauté. Il vient me serrer la main et j'en reste déconcerté.
- Tu vas bien, Brian ? me questionne-t-il poliment, en me dévisageant de ses grands yeux verts.
- Très bien, je lui réponds timidement.
- Mince, toi, les vacances, ça ne te réussit pas ! Heureusement que ce n'est que celles de printemps. T'inquiète, c'est bientôt terminé ! s'écrie-t-il alors mais avant que je puisse lui répondre, sa mère l'entraîne par la main vers un magasin de vêtement pour hommes. Euh...À bientôt, j'espère ! À la rentrée !
Il me fait un clin d’œil et j'en viens à me demander si cette scène s'est passé sous le signe du respect et la politesse, non de l'amitié.
Ainsi que quatre ou cinq autres, qui eux, ne m'ont pas remarqué, à moins de jouer parfaitement bien la comédie.
Une demi-heure plus tard, mes jambes tremblent de fatigue, aucun signe de ma mère et il me reste encore des dizaines d'endroits où chercher. Le pompon, quoi. Je commence vraiment à songer à appeler la police. J'ai emporté mon téléphone, qui ne me servait à rien et que j'avais donc laissé "pourrir" (le mot est faible) sous une pile de vêtements dans mon armoire et ma mère ne m'a toujours pas appelé. J'ai veillé à lui écrire un mot (*), en plus. Qui disait bien qu'elle devait m'appeler sur mon téléphone. Oui, il ne me reste vraiment plus qu'à aller au commissariat.
- Oh, Brian, quel surprise ! crie alors une voix.
Sortant de ma torpeur, je lève la tête, intrigué.
Vision d'horreur.
FIN.
* NDA : J'ai oublié de préciser ça dans le chapitre 4, veuillez m'en excuser.
Chapitre 6
Une jeune femme qui effleure à peine la trentaine s'avance vers moi, tout sourire. Elle a de longs cheveux noirs ondulants et de grands yeux pétillants comme des étoiles. Le portrait craché de sa fille, hormis pour les yeux ; ils sont gris tandis que ceux de sa fille sont d'un bleu limpide. Comme les miens.
Mademoiselle Adams, la mère d'Ever, est vraiment très belle.
Celle-ci, resté à l'écart, me fixe, un peu mal à l'aise. Elle ne sait pas trop quoi faire ni dire, à ce que je vois. J'ai l'impression qu'elle a envie de se foutre sous terre et d'y rester.
Ha ha ! Ça lui apprendra.
Je la regarde intensément, et bizarrement, je ne ressens rien d'exceptionnel hormis un léger spasme.
Bizarre. On dirait que la plaie s'est enfin refermée. J'ai décidé d'avancer, et hors de question de me rejeter entre ses bras une nouvelle fois.
Oui ! Plus jamais.
Je ne m'attendais pas à la trouver ici, mais bon...pourquoi pas ?
Je place ma mère dans un autre côté de ma mémoire. Je m'en occupe plus tard. De toute façon, je suis sûre qu'elle est ici, en sécurité.
Jouons un peu, maintenant.
Mademoiselle Adams, arrivée près de moi, me tend la main, et je la serre en adoptant mon plus beau sourire. C'est parti !
- Oh, que je suis content de vous voir, Madame Adams ! je dis. Ça fait bien longtemps qu'on ne s'est pas vu ! Vous allez bien ?
Elle m'ébouriffe doucement les cheveux et s'exclame avec un petit rire :
- Madame ? Voyons, Brian, je n'ai pas encore dépassé les 30 ans !
Grosse gaffe, me diriez-vous, mais c'est fait exprès. Je rectifie précipitamment :
- Oh, désolé, je pensais juste qu'il fallait vous valoir un certain respect, je rétorque avec sagesse. Je me suis donc permis d'employer "Madame". J'espère ne pas vous avoir trop vexé, je termine en adoptant un air inoffensif.
- Oh, c'est mignon !, elle pipe en rigolant. Je ne dirais rien, dans ces cas-là. Mais mon petit nom c'est Brie, d'accord ? Sinon, oui, je vais très bien et toi ?
- Impecc'.
Nous commençons alors à discuter de tout et de rien. J'adopte un ton très amical, jetant quelques coups d'oeil de temps en temps pour voir comment réagit Ever. Elle a l'air perdu dans ses pensées, une mine dégoûtée peinte sur son visage. Je me demande à quoi elle pense.
Le truc génial avec la mère d'Ever, c'est qu'elle est toujours très bavarde et très agréable. Quand elle commence à me parler d'un film d'horreur qu'elle est partie voir au cinéma avec sa fille il ya peu, j'oublie miraculeusement la présence d'Ever pour me concentrer sur ce qu'elle dit. Je l'apprécie beaucoup et je pense qu'elle aussi. Elle ne s'aperçoit pas tout de suite que sa fille n'a toujours pas bougé d'un centimètre. Mais, après m'avoir soufflé avec amusement à l'oreille qu'Ever n'avait pas réussi à dormir ensuite tellement elle avait flippé, elle s'écrie :
- Mais tiens, en parlant de ça, où-est-ce qu'elle est, Ever ? (elle se retourne, aperçoit Ever, s'exclame) Ever ? Qu'est-ce que tu fais ? As-tu oublier les bonnes manières ? ! Viens dire bonjour à Brian et fissa !
Ever, toujours perdue dans ses pensées, sursaute en l'entendant. Elle se dirige ensuite vers nous, un peu mollement. Pendant ce temps, sa mère me souffle encore à l'oreille :
- Y a un truc qui ne va pas entre vous ? Ce n'est pas dans son habitude de ne pas se précipiter sur toi en te voyant... il y a un problème ? Tu veux m'en parler ?
Bon, visiblement, Ever n'a pas aussi eu le courage de dire la vérité à sa mère. Celle-ci a l'air très inquiète. C'est vrai que moi et Ever, on était du genre inséparables (jusqu'à ces derniers jours).
Nos mères, très amies, se réjouissaient (et se réjouissent toujours) de cette grande amitié passionnelle que nous entretenons (entretenions, plutôt).
En fait, pour tout vous dire, je crois surtout qu'elles croyaient plus à de l'amour qu'à de l'amitié entre nous.
Ah...si elles savaient !
- Non, ne vous inquiétez pas. Je pense juste qu'elle est très fatiguée.
Je me sens un peu honteux de leur mentir comme ça, à elle et à ma mère, mais je préfère attendre le bon moment. De toute façon, je pense qu'elle s'en rendront compte par elles-mêmes. Pas de besoin de le leur souffler. Non ?
- Ah oui...peut être, dit-elle dans un murmure. C'est possible.
Elle ne me croit pas...zut.
Brie Adams semble vouloir en dire plus, mais Ever se plante soudainement devant nous, le visage redevenu impassible. S'installe alors un silence pesant. Je croise le regard pénétrant de sa mère. Elle me fixe bizarrement., comme si elle attendait quelque chose de moi.
Je comprends soudainement. Elle doit trouver étrange que nous ne faisons ou disons pas quelque chose.
Aie aie aie ! Elle va finir par comprendre qu'il y a un froid !
Bon...si c'est comme ça...
Soufflant un grand coup, me penchant vers Ever, je plante une bise sonore sur ses deux joues. Entre-temps, je me permets de lui souffler à l'oreille :
Joue le jeu.
- Tu vas bien ? je lui demande ensuite gentiment avec une grimace que je m'efforce de transformer en sourire.
Toujours sonnée et un peu troublée par mon accueil, elle met du temps à répondre :
- Bof...assez fatiguée. Désolé si j'ai été un peu froide, mais je ne m'attendais vraiment pas à te trouver ici. Je ne savais pas comment réagir. J'avais deux choix ; soit t'ignorer (impossible, avec ma mère à côté), soit te foutre une baffe (j'ai été tenté, je te jure), soit ne rien te faire et te maudire en silence (j'ai opté pour ça, ne me demande pas pourquoi).
- Hein ? Quoi ?
C'est sa mère qui a parlé. Elle nous passe au laser avec les yeux. Je jette un coup d’œil discret à Ever, qui a l'air très calme. Elle semble attendre que je prenne la parole.
OK.
- Euh.. eh bien ...Ever m'avait proposé de se faire un ciné ce soir et j'ai décliné l'offre en prétextant que je n'avais pas envie de sortir, je réponds en essayant d'adopter un ton penaud. Je suis désolé, en passant, Ever, j'ai regretté ensuite de ne pas avoir accepté et de t'avoir menti, mais il était trop tard.
Sa mère éclate alors de rire et Ever me jette un "faux" regard noir, essayant de paraître convaincante. Elle soupire.
- Mouais...j'accepte tes excuses, dit-elle ensuite en levant les yeux au ciel.
Sa mère me fait d'abord les gros yeux pour lui avoir menti au début puis sa bouche s'étire en un sourire. Elle a l'air vraiment satisfaite.
Nous restons encore quelques minutes dans le silence, troublé par le tintamarre provenant de la foule et de la musique, puis le téléphone de Brie sonne alors. Elle hoche la tête vers nous et s'éloigne vers la plage. C'est peut-être son mari, je pense, avant de me souvenir qu'Ever n'a plus de père. Il est parti vivre à l'étranger avant que sa femme réussisse à lui avouer qu'elle attendait un bébé, je crois.
Ever effectue un mouvement brusque qui interromps mes pensées.
Elle me prend la main. Et elle la serre. Fort.
Troublé et un peu désorienté par son geste, je la regarde, ayant l'impression de plonger dans l'abîme de ses prunelles. On aurait dit qu'elle s'excuse, enfin... je ne sais pas trop comment le formuler. Tout ce dont je suis sûr, c'est que cela n'a pas l'air d'être encore de la comédie. Sa mère n'est même plus là, de plus.
La plaie se rouvre aussi vite qu'elle s'était refermée.
J'ai l'impression de fondre devant elle.
Non.
Elle me lance un sourire timide.
Non.
Je m'apprête à presser à mon tour la paume de sa main.
Non.
Elle doit tenir à moi pour s'excuser.
Non.
Je ne peux pas. Elle ne peut pas.
- Non, je n'y arrive pas, Ever. Pas comme ça. Pas après ce que j'ai ressenti après notre dispute.
Je me dégage, doucement, mais avec force. Ses yeux se réduise en deux fentes et un pli se forme entre ses yeux, mais j'essaye de ne pas y faire attention.
L'atmosphère est pesante. Je détourne le regard.
Sa mère revient ensuite vers nous, un peu désarçonnée par la scène qui se déroule devant elle. Ever me tournant le dos, et moi faisant mine de regarder ma montre. Avant qu'elle ait pu dire quelque chose, je dis :
- Désolé, mais je dois m'en aller, Brie. Il se fait tard. Il faut que je retrouve ma mère, elle n'est pas rentrée.
- Maggie n'est pas rentrée ?
- Oui. Tu as une idée de où est-ce qu'elle aurait pu être ?
Brie semble vouloir se souvenir de quelque chose puis elle me dit :
- Non, je suis désolée. Mais je te conseille de continuer, il y a plusieurs cafés très chics à quelques mètres. Ta mère est peut-être dans l'un. Je la connais, elle doit sûrement discuter avec une amie.
- Discuter avec une amie et oublier son fils ? je bougonne, un peu dépité.
- Oui, c'est fort possible, mon chéri. Ta mère a peut-être penser que tu resterais tranquillement à la maison pour l'attendre, elle me répond d'un ton calme.
- Oui, je pense aussi. Mais merci.
Je la salue en la remerciant encore une fois et je m'éclipse vite fait bien fait, sentant derrière moi le regard noir que me lance alors Ever.
Reprenant donc ma marche, je me mets à chercher des yeux les prétendus "cafés très chics".
Je finis par en trouver un, Delights coffee , après une dizaine de minutes qui m'ont paru des heures. C'est un grand bar très romantique aux couleurs noir et rouge. Les tables sont alignées de part et d'autre dans la salle. Bizarrement, il y a peu de monde. Je colle mon nez à la vitrine. Aucune trace de ma mère. Déçu, je m'apprête à laisser tomber et à en chercher un autre avant de voir un serveur déboulé par une porte du fond, des plateaux vides à la main. Je comprends alors qu'il y a deux salles.
Je m'attends déjà au pire, imaginant des monstres cachés derrière cette porte, prêts à me dévorer si j'entrais.
Prenant mon courage à deux mains, je pousse la porte du salon. Une chaleur provenant des radiateurs arrive jusqu'à moi et je me sens instantanément mieux. Je me dirige vers la deuxième porte, celle du fond. Puis, inspirant et expirant trois fois par le nez, trois fois par la bouche, je pénètre dans la pièce.
C'est une copie conforme de la première, mais les couleurs sont le rose et le blanc, cette fois.
Il n'y a pas presque personne.
Juste une seule table est prise.
La scène est absurde. Je cligne des yeux.
Une femme discute avec un homme aux cheveux blonds (je le vois de dos). Elle semble dévorer des yeux. Il a sa main dans la sienne.
Ils semblent très proches.
Je ne comprends pas ce qu'il se passe.
Cette femme, c'est bien ma mère. Avec un autre homme.
Mes yeux devenus pétillants, je croise son regard. Une moue déconcertée se peint lentement sur son visage tandis qu'elle me fixe. Elle ouvre la bouche mais, trop tard !
La porte se referme tandis que je m'enfuis en courant.
FIN
Chapitre 7
La sonnerie retentit dans toute la maison. Je grommelle un juron.
Tiens, tiens, qui voilà donc...
DING DONG !
Je m'extraie de mon lit, et descends mollement (rien de sert de se presser) l'escalier.
DING DONG !
Je prends les clés avant de jeter un coup d'oeil par l'oeilleton. C'est bien ma mère, toute trempée à cause de la pluie battante. Moi, j'ai eu de la chance, je suis rentré quelques minutes avant l'averse. Elle porte un sac de courses. Elle a moins pensé à aller au super-marché avant, c'est déjà ça.
DING DONG ! DING DONG !
Je crisse les dents et ouvre la porte.
- Tiens, tiens, qui voilà... Maman poule a oublié de revenir nourrir son petit ?, je lance en grimaçant, tout de suite après.
- Brian, pousse-toi et laisse-moi entrer, rétorque-t-elle alors avec férocité, faisant mine de ne pas m'avoir entendu. Je recule et me mets sur le côté, laissant passer l'ouragan. On parlera après !
Elle monte les marches quatre à quatre puis je l'entends claquer la porte de la salle de bain derrière elle. Je n'ai toujours pas fermé celle de l'entrée et j'en profite pour jeter un coup d’œil au-dehors. Une voiture Audi (les quatre ronds gris sont visibles même d'ici) vient de passer l'angle de la rue.
Chiche que c'est l'homme blond du café qui a voulu la raccompagner.
Je me retiens de cracher de dégoût par terre.
Riche en plus de ça...
Je note cela intérieurement, referme la porte, et me mets à attendre patiemment qu'elle ait finie sa douche, en allumant la TV dans le salon.
À dire vrai, je ne sais pas trop comment réagir face à ce que ma mère a fait, maintenant qu'elle est là. J'ai quitté le café en courant car j'étais juste...troublé et choqué. Troublé que ma mère nous ait trompée à ce point, mon père et moi (plutôt moi, en fait. Lui, il l'a fait avant elle). Choqué qu'elle ne m'ait rien dit qui laisserait penser qu'elle avait un... un deuxième mari, on va dire.
Mais maintenant, je n'éprouve rien, même pas de la tristesse. Seulement du vide. Oui, c'est cela. Du vide.
Un vide constant.
Me revient alors les mots de Papa.
~ Ce n'est pas ma faute, j'ai fait ça pour son bien et elle n'a rien voulu entendre... tu me comprends, Brian, hein ? Tu me comprends ? Je ne l'ai pas trompé ! C'était ça où on était dans la m*rde assurée. J'ai préféré prendre le risque. Je l'ai payé, c'est vrai, mais tu as pu avoir un toit au-dessus de toi. Et c'est ce qui compte, maintenant que j'y pense.
Elle n'a rien voulu entendre, au début. Alors que j'ai essayé en vain de lui expliquer que... cette femme pouvait nous aider (Elle m'a quitté en passant, je garde encore les séquelles douloureuses de sa gifle) mais elle s'obstinait à dire qu'on pouvait s'en sortir sans. C'était faux. J'avais perdu mon travail, elle était femme au foyer... c'était la seule solution.
La seule solution.
Ma mère débarque alors dans le salon. J'éteins la télévision et je me tourne vers elle, essayant de cacher mon excitation. Elle s'assoit sur le divan à ma droite et me dévisage pendant un moment. L'atmosphère est palpable.
- Alors ? je dis sèchement.
- Alors quoi ? elle soupire. Brian, je suis désolée, et tu le sais parfaitement. Mais je croyais que...
- Tu croyais quoi ? je la coupe, essayant de rester toujours aussi calme. Tu croyais que j'allais t'attendre sagement ici pendant que tu te prélassais avec un inconnu dans un café ? Ne me dis pas que c'était ce que tu croyais ?
- Brian, je...
Je ne la laisse pas continuer. J'explose, mon ton devient tranchant comme un rasoir :
- Un inconnu, je répète. Un inconnu ! Tu m'as dit que tu allais au super-marché acheter des p*ti*s de légumes, pourquoi est-ce que je t'ai retrouvé en train de boire un verre ? Dis-moi pourquoi !
- Brian, attends, laisse-moi parler ! crie-t-elle pour noyer mes paroles. Ne m'interromps pas et écoute.
Je me tais en fulminant.
- J'ai cru que tu comprendrais, explique-t-elle alors d'une toute petite voix. J'ai cru que tu savais.
- Que je savais quoi ?
- Que tu savais que je n'allais pas vraiment au super-marché.
Je la toise, la colère laissant place à la perplexité.
- E-Euh... mais non, qu'est-ce qui t'as fait croire ça ?
- Une intuition. J'étais habillée très classe et j'étais maquillée. Je pensais que tu l'avais vu et que tu avais compris. (elle se tord les mains, ayant l'air timide) J'avais laissé des pâtes datant d'hier au frigo pour que tu puisses grignoter en attendant mon retour (je veux à ce moment-là lui rétorquer qu'on ne peut pas "grignoter" des pâtes, surtout quand elles sont à la sauce tomate, et après se taper une ratatouille, mais je me retiens). J'ai même cru entrevoir un clin d'oeil de ta part avant que je sorte. Je dois commencer à perdre la boule.
Je n'en crois pas mes oreilles.
Mais pourtant, c'était vrai. C'était vrai qu'elle était drôlement bien préparée pour une course urgente.
Mais est-ce que c'était vraiment mon problème, franchement ?
C'est bien ma mère, tiens. Pour y croire.
- Mais maman, comment tu as pu croire que je m’intéressais à ce que tu portais, je cuisinais !... Tu aurais pu me le dire directement... Non ?
Elle baisse la tête.
- O-Oui... c'est vrai. Mais je voulais garder le mystère presque entier, tu vois ? Tu m'aurais bombardé de questions si je t'en aurai parlé avec plus de... spontanéité.
- Je t'ai appelé aussi, je lui fais remarquer, pourquoi n'as-tu pas répondu ?
Elle ouvre des yeux ronds.
- Tu m'as appelé ? Je n'avais pas mon téléphone sur moi.
- Tu ne l'avais pas ? ! je m'insurge.
- Oui. Je l'ai laissé dans ma chambre. Tu ne l'as pas entendu sonner ?
Non... ce n'est pas possible... mais si elle le dit...
- Rââh, quel c*n je suis !
Elle éclate de rire, voyant ma mine contrite.
- Peut être que je l'ai mis en silencieux, finit-elle par dire pour me calmer. Ça m'arrive parfois.
-Jamais, oui, je réplique, dépité. De plus, il est toujours avec toi, la plupart du temps...
- C'est vrai, mais je l'ai oublié. Je voulais au début revenir le chercher, mais j'étais hyper en retard à mon rendez-vous et si je ne me serai pas dépêché, je n'aurais sûrement pas eu le temps d'aller au super-marché et de courir à Street Party, elle répond, baissant encore et toujours les yeux, pour éviter mon regard.
Je me pétrifie.
- Ah oui ! Le mec blond ! Qui est-ce, alors ? Pourquoi est-ce qu'il t'a raccompagné, qu'est-ce qu'il faisait avec toi ?
Je l'avais complètement oublié, celui-là.
Ma mère se renfrogne alors.
- Je... je... je n'ai pas envie de parler d'Asher.
Alors comme ça, il s'appelle Asher... Je croise les bras, décidé à ce qu'elle crache le morceau sur leur relation.
- Et bien moi, si.
Elle ne répond pas. J'en profite pour la bombarder de questions :
- C'est qui, un collègue ?
J'attends un moment, puis elle souffle :
- Non.
Je continue l'interrogatoire :
- Un ami ?
- Pas vraiment.
- Une connaissance ?
- Plus ou moins.
- Il est riche ?
- On peut dire ça comme ça.
- Qu'est-ce que tu faisais avec lui ?
- On discutait. Brian, j'ai mal à la tête.
- De quoi ?
- De tout et de rien. On faisait connaissance. Maintenant, je...
- Comment tu le connais ?
- Je... je garde ses enfants.
- Il a des enfants, en plus... et qu'est-ce que tu lui veux ?
C'est la goutte de trop. Je vois bien qu'elle en a marre. Ma mère tente alors d'esquiver la question en se levant.
- Bon, c'est fini l'interrogatoire ? elle dit d'un ton froid. Je peux aller préparer à manger ?
- Mais Maman, je supplie, qu'est-ce que tu lui veux, à ce mec ? Il est riche... tu convoites son argent ?
Je pense alors à Papa. Elle était en train de faire la même chose que lui.
- Maman... on a des problèmes... d'argent ? je continue dans un murmure.
Silence. On se dévisage un instant. Ses yeux bleus lancent des éclairs mais elle a le visage impassible. Je tente encore une dernière fois :
- Maman... Le mec, là... C'est ton amant ?
Voilà. Je l'ai dit.
Long soupir. Puis elle me répond enfin d'un ton exaspéré :
- Mais Brian... est-ce que cela est vraiment important ? Qu'est-ce que ça peut te faire ?
J'ai l'irrésistible envie de lui balancer que Papa m'a tout raconté et qu'elle est vachement gonflée de dire que ce n'est pas important alors que ça l'est vachement, vu que c'est justement à cause de ce genre de choses qu'elle a envoyé boulé Papa. Mais je me retiens. J'ai promis à mon père de ne rien dire, et même si je le déteste maintenant, je tiendrais parole jusqu'au bout.
- Penses-tu que ça te regarde vraiment ? répète ma mère.
Je me tais un instant, perdu dans le fil de mes pensées. Une voix glacée jaillit alors dans ma tête et me souffle une vérité, si horrible est-elle :
Brian, t'es vraiment cinglé. Pourquoi est-ce que tu joues la fouine avec les histoires d'adultes qui ne te regardent (presque) pas alors que tu as perdu la princesse de ton coeur et que ta vie sociale bat dangereusement de l'aile ?
Je ne le sais pas. Et je me sens terriblement bête de ne pas le savoir.
Ma mère attend toujours mon verdict. Je bondis du canapé. Elle lève un sourcil. Je lui réponds :
- Non.
Et je la suis gentiment dans la cuisine.
FIN